Je pratique la course à pied depuis plusieurs années. De type coureuse du dimanche. Lentement et sur un parcours de faible dénivelé. Entre deux fois par mois et deux fois par semaine. La fréquence peut monter à trois fois, la semaine qui suit les bonnes résolutions de janvier.
Courir sur un nuage
Depuis ces quelques années, je cours sur des coussins d’air, de gel ou de caoutchouc. Mes deux dernières paires étaient même des chaussures montées sur nuages, de la marque suisse à la mode On. La sensation est agréable, une impression de douceur, de légèreté, d’être propulsée dans les airs à chaque pas.
Au niveau des blessures, rien à signaler si ce n’est quelques courbatures après une longue période sans pratique.
Récemment, j’ai eu l’occasion de discuter avec un autre coureur du dimanche mais d'un meilleur niveau que le mien. À part le niveau, une différence importante nous sépare : le déroulé du pied sur le sol.
J'apprends que la manière la plus adaptée de courir, est d’imiter les enfants. Ou plutôt, de ne jamais arrêter de courir comme nous le faisions enfants.
Les humains n'ont jamais cessé de courir comme des enfants, avant l'invention de la semelle amortissante dans les années 70.
Comment courent les enfants ? Souvent. Toujours. Il ne se déplacent qu’en courant. Et en criant, mais ceci est une autre histoire. Avec une telle quantité de course, on peut considérer que les enfants connaissent le sujet.
Les enfants pratiquent donc la course de manière innée. Et, spontanément, ils courent sur l’avant du pied. Leur talon effleure le sol mais n’absorbe pas le poids du corps, au moment où il frappe le sol.
En frappant le pied par terre avec le talon en premier, le corps libère une partie de son énergie dans le sol et l'autre est absorbée par le pied et la jambe.
En courant sur la partie avant du pied, on garde plus d'énergie dans l'élan pour se propulser dans le pas suivant. En n’enfonçant pas le talon dans le sol, on gaspille moins d’énergie et on l'investit dans le pas suivant.
Un problème de chaussures
D'où nous vient cette habitude de courir le talon en avant alors que ce n'est pas efficient ? Des chaussures.
Novembre 2020 : je me lance.
L'argument des enfants et des premiers humains me convainc. Je tente mes premiers 5 km sur l'avant du pied.
J'ai toujours mes anciennes chaussures avec amorti, mais elles ne m'empêchent pas de positionner mon pied sur l'avant quand il touche le sol. Ce n'est pas idéal, mais pour un premier essai, les chaussures amortissantes feront l'affaire.
Au moment de mes premiers pas sur la pointe des pieds, j'ai l'impression de me déplacer comme un pantin désarticulé. Je me sens déséquilibrée et il me semble que mes bras gigotent dans tous les sens. Après quelques minutes, j'oublie que suis en train de faire quelque chose pour la première fois. Je me dis même que c'est plus élégant de courir sur l'avant du pied. Je me prends pour une ballerine qui fait ses pointes.
Au bout d'un kilomètre ou deux apparaît la fatigue du mollet. J'ai l'impression que toute l'énergie du talon qui frappe le sol est soudain retenue dans mon mollet. Je sens que c'est plus efficace pour avancer, mais aussi plus fatigant pour mes muscles non entraînés.
La dernière partie de mon parcours est en descente. C'est la partie la plus difficile sur l'avant du pied. J'ai l'impression d'avancer lentement car je freine beaucoup mon élan. Je ne me laisse pas couler dans la pente car j'ai la désagréable sensation qu'en ne posant que l'avant du pied, je vais glisser et tomber.
C'est dans la descente que je réalise que courir sur l'avant du pied avec des chaussures amortissantes n'est pas approprié. J'ai l'impression de glisser à l'intérieur de ma chaussure.
Les courbatures
Au lendemain de ma première course sur l'avant du pied, mes muscles sont fourbus. Mes mollets sont très douloureux et j'ai une courbature à la partie externe de la plante des pieds. Je me souviens avoir déjà eu des courbatures sous mes pieds en pratiquant l'escalade, mais pas avec la course à pied.
Pendant environ un mois, je fais huit sorties courtes (5 km) sur l'avant du pied, toujours avec mes chaussures à semelles amortissantes. Ceci permet à mes muscles et mes tendons de s'habituer à ce nouveau positionnement du corps.
Neuf décembre 2020 : première sortie en barefoot
Dix-huit février : 10 km en barefoot
Depuis quelques mois, les questions du positionnement du pied et du type de chaussure n'en sont plus.
Je repense à la sensation de manquer d'équilibre la première fois où j'ai couru sur l'avant du pied et je souris. Mes muscles se sont parfaitement habitués à ma nouvelle manière de courir. Je n'ai depuis longtemps plus de courbatures et aucune douleur n'est apparue.
Dans son livre Born tu run, Christopher McDougall relève des faits scientifiques dont je vous soumets ci-après un résumé.
J'en profite pour recommander cet ouvrage passionnant qui explore la course à pied sous un angle novateur et instructif, tout en étant très divertissant.
C'est un Suisse qui le dit. Dr Bernard Marti, spécialiste de médecine préventive à l'université de Berne a suivi 4385 concurrents du Grand Prix de Berne. En 1989, il écrit dans The American Journal of Sports Medicine que le point commun entre les blessures ne sont ni la surface d'entraînement, ni l'allure, ni le kilométrage ni même la motivation mais le prix des chaussures. Les modèles les plus chers occasionnent 123% plus de blessures que les bon marché.
Dr Barry Bates, chef du laboratoire de biomécanique et de médecine sportive de l'université d'Oregon explique en 1988 dans le Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy que l'amorti d'une semelle ne réduit pas l'impact dans les pieds et les jambes. Bien au contraire, les pieds - très innervés - sont conçus pour recevoir énormément d'informations du sol et adapter leur stabilité en conséquence. Moins les pieds reçoivent d'informations, c'est à dire plus la semelle est épaisse, moins ils fournissent le travail pour compenser l'impact. Conclusion : moins il y a d'amorti sous nos pieds plus on court correctement.
Si comme moi vous n'avez jamais entendu parler d'Alan Webb : il ne s'agit pas de l'inventeur du world wide web mais d'un athlète américain qui a battu le record universitaire du Mile. Si comme moi vous n'avez jamais entendu parler du Mile, il s'agit d'une épreuve d'athlétisme consistant à parcourir une distance d'un mile, soit 1 609,34 mètres. (Merci Wikipedia)
Cet athlète, donc, est né avec les pieds plats, et chaussait du 47. Après un entraînement intensif pieds nus, il chaussait du 44-45, sa voûte plantaire s'étant creusée, et il battit le record du 1500 m.
Les études du Dr Gerard Hartmann indiquent que seulement 2 à 3% de la population souffre de réels problèmes biomécaniques qui nécessiteraient des corrections orthopédiques. Il explique que la voûte plantaire est constituée de 26 os, 33 articulations, 12 tendons et 18 muscles. Il la décrit comme le plus prodigieux ouvrage d'ingénierie conçu pour supporter du poids.
« La course de fond était vénérée parce qu’indispensable. C’était la clé de la survie, de l’épanouissement et de la conquête de la planète. On courait pour manger et pour ne pas être mangé, on courait pour trouver une compagne et pour l’impressionner et on courait avec elle pour commencer une nouvelle vie ensemble. Il fallait aimer courir, ou on ne vivait pas assez pour apprécier le reste. Et, comme tout ce que nous aimons, tout ce que nous nommons « passions » et « désirs », il s’agit d’une nécessité ancestrale inscrite dans nos gènes. Nous sommes nés pour courir. Nous sommes nés parce que nous courons. Nous faisons tous partie du Peuple qui court, comme les Tarahumaras l’ont toujours su. »