La voiture pollue, les routes sont saturées, les villes sont envahies. Favorisons donc la mobilité en commun et prenons le train ! Il y a différents facteurs qui incitent la voyageuse ou le voyageur à utiliser le chemin de fer : le prix du billet, la ponctualité, la cadence, la densité du réseau, le confort du voyage.
J’ajoute une condition : le plaisir de l’attente en gare.
Malheureusement, attendre un train dans une gare d’aujourd’hui est une punition. C’est comme faire de la randonnée par mauvais temps dans une zone industrielle.
Quand j’attends mon train, parfois, j’apprécie de m’asseoir. Pour boire un café ou manger un sandwich, regarder mon écran ou lire, observer le monde et rêver.
Alors, je cherche un banc. Pour en trouver, je me rends là où passent les trains : sur le quai. Un endroit bruyant, venteux et soumis aux poussières métalliques. Un endroit désagréable.
Une fois le quai atteint, j’espère trouver une place disponible. En effet, les quais sont parsemés de quelques rares bancs, entre poubelles XXL et blocs de béton. S’asseoir en gare est un privilège.
La place assise débusquée et les désagréments de l’endroit tolérés, je goûte au dernier aspect de la punition : je m’assieds... sur un grillage métallique.
Oui, cher cousin néandertalien, nous, humains du 21e siècle, étudions l’infiniment grand, l’infiniment petit, développons l’intelligence artificielle… et nous asseyons sur des grillages métalliques. Les os de la colonne vertébrale et ceux du fessier s’y heurtent douloureusement. Le métal transmet le froid. Et la laideur de l’objet agresse la rétine.
Oui, nous, humains du 21e siècle, attendons nos trains dans le bruit, le froid et les particules fines. Debouts. Ou assis sur un grillage métallique.
Mais c’est pratique un grillage métallique ! Ça ne se salit pas, ne s’altère pas. Les gouttes de pluie n’y restent pas. Le café renversé n’y colle pas. Les miettes de sandwich n’y adhèrent pas. C’est pratique.
Placer le grillage métallique sur un quai inconfortable, c’est pratique aussi. Ça n’attire pas les SDF, ni les dealers, ni les drogués, ni les paumés, ni les désaxés. Seuls les voyageuses et voyageurs contraints de prendre un train s’aventurent dans un endroit aussi inhospitalier.
Enfin, ne pas aménager de lieu agréable pour l’attente du train est avantageux. La voyageuse ou le voyageur ne reste pas inutilement assis dans un coin à rêvasser. Non, il consomme. Du café, dans des gobelets en plastique, des sandwichs, dans des emballages en papier. Enseignes américaines et restauration rapide ne manquent pas dans les gares d’aujourd’hui.
Et pourtant… dans le hall de la gare de Neuchâtel, il y a des bancs. En bois. Des bancs d’antan. Je m’y suis arrêtée. La forme de l’assise épouse le corps. Le dossier est si haut que l’on peut y appuyer la tête, pour somnoler un peu, si l’on veut.
En gare de Neuchâtel, j’ai trouvé des places assises en nombre. Situées dans le hall principal, où il fait chaud en hiver et frais en été.
Dans le hall de la gare de Neuchâtel, même à 22 heures, je n’ai aperçu ni SDF, ni dealer, ni désaxé, ni force de police, ni brigade antiémeute.
En gare de Neuchâtel, j’ai vu des humains. Qui passaient, qui discutaient, qui regardaient leur écran ou lisaient, qui observaient le monde et rêvaient.
Dans le hall de la gare de Neuchâtel, je me suis assise et j’ai goûté à une expérience étonnante : le plaisir d’attendre mon train.