Désormais, je suis condamnée
À ne sourire qu’à des gens que je connais.
Et que je côtoie de près.
Finis les sourires aux dames âgées,
Dans un rayon de supermarché.
Finis les sourires aux caissières.
Finis les sourires aux mères,
Fatiguées, avec leur bébé dans le train.
Finis les sourires dans le bus
À la conductrice démotivée.
Finis les sourires.
J’en suis réduite à plisser des yeux,
Exagérément, comme une comédienne.
Pour faire croire à une cordialité.
Je grimace derrière mon masque.
Je gesticule des zygomatiques
Avec un truc sur la figure.
Mascarade.
L’énergie positive que j’essaie de distiller,
Reste bloquée dans ce fichu tissu.
Dans ce morceau de papier.
Dans ce coin-coin à la Donald Duck.
Et je n’ose même pas imaginer
Ces bébés déposés à la crèche, toute la journée.
Confiés à des inconnues masquées.
Je me demande à quel niveau de stress
Sont exposés ces petits enfants.
Existe-t-il des médecins spécialistes,
Capables d’expliquer les conséquences
Du stress sur un petit bébé ?
Existe-t-il des médecins spécialistes,
Capables d’expliquer les conséquences
D’un manque d’attention chez une personne seule ?
Existe-t-il des médecins spécialistes,
Capables d’expliquer les conséquences
D’une manque de soutien chez un être fatigue ?
Existe-t-il des médecins spécialistes,
Conscients de notre humanité ?
Je ne sais rien.
Mais je me demande
Si la privation de sourire
À large échelle
Et sur le long terme
N’est pas pire qu’un virus,
Fût-il, dans certains cas, mortel.
Et je repense à cette poésie apprise à l’école.
Ecrite il y a exactement 100 ans.
L’une de mes poésies d’école préférée.
Qui me rend aujourd’hui amère.
Un sourire
Un sourire ne coûte rien et produit beaucoup.
Il enrichit ceux qui le reçoivent
Sans appauvrir ceux qui le donnent.
Il ne dure qu'un instant
Mais son souvenir est parfois éternel.
Personne n'est assez riche pour s'en passer,
Personne n'est assez pauvre pour ne pas le mériter
Il crée le bonheur au foyer, soutient les affaires.
Il est le signe sensible de l'amitié.
Un sourire donne du repos à l'être fatigué,
Rend du courage aux plus découragés.
Il ne peut ni s'acheter, ni se prêter, ni se voler,
Car c'est une chose qui n'a de valeur
Qu'à partir du moment où il se donne.
Et si parfois vous rencontrez une personne
Qui ne sait plus avoir le sourire,
Soyez généreux, offrez-lui le vôtre...
Car nul n'a autant besoin d'un sourire
Que celui qui ne peut en donner aux autres.
Raoul Follereau, "Le Livre d’amour" (1920).

Écrire commentaire